Parcours en Côtes du Rhône - épisode 8 :
Planter sans se planter !

Le 07/01/2022 à 12:22

L’hiver est propice aux nouvelles plantations et au remplacement des manquants. Chez les Thibon, l’exigence est de rigueur : tant au niveau de la qualité des plants que du type de greffe. Au Mas de Libian, la biodiversité passe d’abord par celle des vignes.

Planter pour les suivants

Bonjour à tous,

L’agriculture est un métier qui se situe dans le temps long, voire très long… Je me souviens, quand j’étais petite et que j’aidais mes parents à préparer les plants (c’était rigolo de couper les racines) mon père me disait : « tu vois, ces bébés vignes, cette plantation, ce n’est pas pour moi mais pour le suivant » . Il avait la délicatesse de ne pas dire « pour toi, pour vous » , mais juste pour le suivant… Alors, comme chaque génération de paysan, nous continuons de travailler « pour le suivant » . J’aime cette idée de faire les choses essentiellement pour les transmettre, pour les offrir au suivant, comme si une petite partie de nous restera éternelle et féconde en continuant à donner des fruits aux prochains. Mais pour avoir cet espoir de rester fécond, encore ne faut-il pas trop se tromper sur la préparation des sols, le choix du porte-greffe, du greffon. Ce qui nous intéresse aujourd’hui le sera-t-il encore demain ? Serons-nous des visionnaires ou complètement stupides ?

Choix stratégique de la pépinière

Pour l’instant, l’heure n’est plus à la réflexion puisque la plantation de 2022 a déjà été commandée il y a un an à la pépinière Bérillon. Depuis que nous sommes vignerons, nous travaillons avec Lilian, d’abord parce que c’est un ami cher du temps de l’école, et que mes parents s’étant toujours refusés à utiliser des clones (ce que nous avons continué à faire), il n’y avait qu’une seule pépinière digne de confiance à qui nous pouvions confier nos greffons. Et puis parce que nous avons grandi ensemble. En effet, nos réflexions communes au sujet du végétal, tant au point de vue sanitaire que de l’urgence à préserver ce qu’il nous restait de diversité, ont progressé de concert. Il y a plus d’une vingtaine d’années, nous nous sommes vite rendu compte que soit nous faisions un clone « Libian » soit nous partions à la recherche d’autres grenaches. Ce fut le début des bêtises : aller sélectionner ailleurs, sur des vignes que nous connaissions mal et avec trop peu de compétences s’est vite révélé un échec. Il fallait absolument un sélectionneur dont c’était le métier, l’amateurisme était trop dangereux. Et puis, Lilian était également convaincu qu’il y avait urgence : les vieilles vignes, avec la mécanisation et les primes de toutes sortes étaient en train de disparaître.

 

La biodiversité, d’abord par les plants

Depuis, le travail colossal effectué par cette pépinière sur la préservation de la diversité de nos cépages est incontournable. Car c’est bien beau de parler de biodiversité, de semer des petites fleurs, de planter des arbres, mais commençons par le commencement, il nous faut un maximum de diversité dans notre plantation. Et pour nous, l’idée même du clonage nous révulse, je ne parlerai même pas de ce que l’on nomme aujourd’hui pudiquement les « nouveaux cépages ». Ça va nous revenir en boomerang cette affaire : comment peut-on penser qu’en plantant le même individu à des millions d’exemplaires tout va bien se passer ? Et ce n’est pas en plantant une haie en bordure de parcelles ou trois fleurettes que l’on compensera notre pauvreté génétique ! D’ailleurs, regardez les problèmes que nous avons avec les porte-greffes aujourd’hui ! Et oui, depuis 1980, ce ne sont plus que des clones, ou alors un ou deux par porte-greffe. Et nous assistons à une dégénérescence de nos porte-greffes. Est-ce normal de ne plus pouvoir utiliser du 161-49, le 3309 est foutu également, etc.

 

Trouver la greffe adaptée

Et puis il y a le greffage… L’oméga est banni depuis plusieurs années à Libian. Nous plantons avec différents types de greffes :

  • En greffe anglaise pour les greffés-soudés (privilégié pour tous les sols avec beaucoup de galets)
  • En place et en fente pour les sols « plus faciles ». Il y a trois ans, nous avons greffé en place sur un sol d’argile et de galets, et vu le travail titanesque pour recouvrir les greffes, nous nous sommes bien jurés de ne plus jamais recommencer !
  • En revanche les remplaces sont toutes greffées en place par les bons soins d’Alain, ce qui nous procure une bien meilleure reprise.
    Premier printemps d’un pied de remplace, greffé en fente en place.
  • Un essai sur 300 pieds à l’œil a été tenté et ne sera jamais récidivé ! Nous sommes assez mécontents de ce type de greffage car nous avons constaté que le haut de la greffe n’est pas bien soudé.
  • En revanche, le surgreffage à l’œil, sur vigne plus âgée, fonctionne visiblement très bien.
    Greffes à l’œil
    pousse d’une greffe à l’œil.

     

Aujourd’hui la difficulté réside sur le choix du porte-greffe et surtout du cépage. Dans le Sud, nous subissons de plus en plus des périodes extrêmement sèches et trop chaudes. Les temps sont venus d’aller chercher des cépages ayant déjà cette expérience. Tant pis pour l’AOP, il faut avancer…

 

Le partage d’Hélène : protéger les remplaces

Greffer en place c’est bien, surtout pour les remplaçants. En effet, on laisse bien le temps au porte-greffe d’implanter ses racines avant de lui demander de nous faire des raisins. Car les vieilles vignes ne font pas vraiment « place aux jeunes ». Ça évite aussi de traiter ces jeunes pousses, toujours enquiquinantes au milieu des grandes : pas la même hauteur de feuillage, jets du pulvé mal dirigés pour les petites, etc. En revanche, ce n’est pas facile de maintenir le buttage, il y a des cailloux et le passage de la déca et/ou de la bineuse grignote souvent la butte. Pour éviter ceci, nous utilisons des tubes de protection contre le désherbage que nous remplissons de terreau : c’est tout léger et ça permet à la jeune pousse de bien « percer ». Aux beaux jours, nous repassons plusieurs fois, récupérons le plastique (il est réutilisable plusieurs années) et nous éliminons proprement les sauvages et attachons la jeune pousse.

 

Toute la famille de Libian vous souhaite une belle année 2022 et de belles plantations !

 

Hélène Thibon
(Crédit photo: Mas de Libian)