Enzymes clarifiantes, micro-organismes régulateurs d’acidité, gel de silice, désalcoolisation totale des vins… Stéphane Becquet, directeur des Vignerons bio Nouvelle-Aquitaine fait le point sur les actualités règlementaires en œnologie bio aux Journées Techniques Vigne et Vin bio, en mars 2025.
- Utilisation d’un intrant non autorisé : déclassement possible
Le rappel est fondamental : utiliser un produit non autorisé en bio entraîne un risque de déclassement du vin, avec les conséquences économiques que cela peut engendrer. « Par exemple, en 2023, des vignerons bio ont vu l’intégralité de leur production déclassée après l’usage de cellulose microcristalline, interdite en bio », commente Stéphane Becquet, directeur des Vignerons bio Nouvelle-Aquitaine. Regarder attentivement la composition des produits œnologiques avant leur utilisation est primordial. « Car un intrant autorisé peut parfois être co-formulé avec des intrants interdits. Le syndicat est là pour vous aider si vous avez le moindre doute. »
Pour rappel, un nouvel intrant œnologique, ou une nouvelle utilisation pour un intrant, accepté dans la règlementation vin général, est de fait interdit en bio. Il doit être examiné et validé par la commission européenne avant d’être utilisable en bio.
- Demande d’utilisation de micro-organismes comme régulateurs d’acidité
À la demande de la commission vin bio de l’Inao, la France a porté, au niveau européen, la requête de pouvoir utiliser les micro-organismes (levures et bactéries) comme régulateurs d’acidité. Ce changement est inscrit sur le projet de texte modifiant le RUE 2021/1165 (règlement d’exécution définissant la liste des produits et substances utilisables dans la production biologique.) L’Europe est en train de traiter ce dossier.
- Dépôt d’un dossier global sur les enzymes clarifiantes
Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire doit envoyer, courant 2025, à la Commission européenne, un dossier traitant de diverses demandes sur l’usage d’enzymes clarifiantes en vinification bio :
- Utilisation des enzymes pectolytiques en macération : Les enzymes pectolytiques ne sont pour le moment utilisables en bio que pour la clarification. L’extension de leur usage à la macération (mise dès le pressoir), a été validée par le Cnab en 2023. « Mais le dossier n’a pas été adressé dans le bon format à l’Egtop en juillet 2024. La demande sera rétablie dans le nouveau dossier porté par la France. »
- Demande d’autorisation pour les arabinases :
Les arabinases sont un nouveau type d’enzymes clarifiantes. Leur demande d’autorisation en bio a été validée par le Cnab. - Requête pour les bêta-glucanases :
Les enzymes bêta-glucanases dégradent les glucanes, composés libérés par Botrytis cinerea. « Ce sont des enzymes de clarification, et aujourd’hui elles sont le seul outil pour clarifier des vins ayant des glucanes, comme les vins moelleux, liquoreux ou des vins rouges dont les maturités ont été poussées. » La demande, venue du Bordelais, a été validée par la commission vin bio de l’Inao et le Cnab. Ces enzymes sont obtenues à partir de la fermentation d’une souche de Trichoderma, ce qui est compatible avec la règlementation bio. En outre, ce sont des intrants autorisés en bio au Japon, en Chine et aux États-Unis. « Mais elles restent interdites en Suisse. »

- Cellulose poudre : demande de rajout comme intrant
Le Cnab a validé la demande de la filière vin bio de faire rentrer la cellulose poudre dans les intrants utilisables. « La cellulose était un adjuvant et est devenue un intrant. Nous faisons la demande en bio, car le produit ne pose pas de problème. Mais cela prend toujours un peu de temps au niveau administratif. »
- Flou avec les gels de silice : éviter leur utilisation
Les gels de silice sont autorisés en bio, mais sont produits via des nanotechnologies. Or le règlement bio interdit ces techniques pour la production d’ingrédients et d’additifs. « Mais les gels de silice sont des auxiliaires. Nous avons besoin d’une interprétation claire sur la question. L’Inao a fait remonter la question à la Commission européenne qui doit trancher. Pour l’instant, en cas d’usage par les vignerons bio, la sanction sera juste un manquement. Nous conseillons néanmoins pour le moment d’éviter leur utilisation. »
- Produits de nettoyage et de désinfection : toujours en attente de la liste
Une liste de produits de nettoyage et désinfection autorisés en bio devrait être établie à l’horizon 2026. « Le dossier est en cours de travail à l’Egtop et la Commission européenne. Mais cela reste complexe : au-delà des matières actives, les adjuvants et les formulations impactent sur les écotoxicités des produits. Il est dur de savoir quelles règles se fixer. France Vin Bio, l’Itab, le Synabio et l’Inao suivent activement ce dossier. »
- Intrants certifiés bio ne remplissant pas un objectif technique souhaité : développer la notion d’équivalence technique, pour utiliser un intrant non certifié
Les intrants œnologiques, certifiés bio et disponibles sur le marché en quantité suffisante, doivent obligatoirement être utilisés. Mais en fonction des produits commerciaux, les effets peuvent varier considérablement. « C’est le cas notamment de la gomme arabique, entre sa formulation poudre ou liquide. Certains vignerons préfèrent la forme liquide pour éviter notamment des soucis de filtrabilité, de colmatages de filtre. Mais cette formulation n’est pas toujours disponible dans les produits certifiés bio. » L’objectif pour la filière vin bio serait d’adopter le principe d’équivalence technique : si l’objectif technique attendu n’est pas rempli par l’intrant certifié bio, il serait possible d’utiliser un intrant non certifié. Actuellement l’Inao fait du cas par cas, et à propos de la gomme arabique, accepte la distinction entre liquide et solide : si la spécialité commerciale de gomme arabique certifiée bio n’est pas disponible en version liquide, l’option non bio peut être utilisée.
- Étiquetage : indiquer quels ingrédients et additifs sont certifiés bio
Sur l’étiquette, il est nécessaire de distinguer les intrants bio et non bio dans la liste des ingrédients et additifs (et des allergènes s’ils sont détectés à l’analyse). Et ce, soit en indiquant la mention « biologique » ou « bio » après chaque intrant, soit en utilisant un astérisque renvoyant vers la mention « issu de l’agriculture biologique. »
Exemple 1 / Ingrédients : raisin biologique, régulateur d'acidité, conservateur (sulfites)
Exemple 2 / Ingrédients : raisin*, moût concentré rectifié*, conservateur (sulfites), stabilisant (gomme arabique*) (*issus de l'Agriculture Biologique)
« Si, sur l’étiquette, un ingrédient bio n’a pas la mention "issu de l'AB", cela peut entraîner un manquement 315 mineur, avec action corrective. Et si un ingrédient non bio est indiqué bio, on risque un déclassement. » Selon le directeur du syndicat, la plupart des structures proposant les QR codes et les hébergements ont fait le nécessaire pour ajouter ces notions.
- Autorisation de la désalcoolisation totale en bio
Le 26 février 2025 le Règlement délégué (UE) 2025/405 de la Commission du 13 décembre 2024 modifiant le règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les pratiques œnologiques européennes, donne la possibilité de produire des vins biologiques désalcoolisés (TAV ne dépassant pas 0,5 % vol.). Et ce, uniquement avec l’évaporation sous vide partielle couplée ou non avec une distillation sous vide. Stéphane Becquet rajoute que l’on ne peut produire ces vins qu’en utilisant les éléments autorisés dans la règlementation bio. « Ce qui est très restrictif. On ne peut donc pas rajouter des arômes par exemple. Les « boissons » à base de vin totalement désalcoolisé seront certainement plus à même de se développer. »
La question de la désalcoolisation partielle ne se pose pas encore en bio. « Le sujet est très complexe, mais les IGP risquent de faire avancer le dossier, car certaines ont de gros volumes en bio et pour le moment seuls les vins partiellement désalcoolisés sont autorisés dans les IGP et AOC. » Pour Stéphane Becquet, cela risque d’être plus compliqué à évaluer. « Pour les vins totalement désalcoolisés, on est obligé de passer par la technique. Mais pour le partiellement il y a beaucoup de façons d’y arriver. » Réussir à définir ce qu’est la vraie nature d’un vin bio partiellement désalcoolisé devient un enjeu. « Et dans ce cas, quid des pratiques à mettre en œuvre pour arriver au produit : met-on un degré maximum à la récolte pour ne pas utiliser trop d’énergie à la désalcoolisation ? Avec des modes de conduites spécifiques ? » Le dossier est à suivre de près.
Frédérique Rose