L’autorisation ou non, en bio, des phosphonates est en train d’être débattue à l’Egtop (1). Depuis la demande de l’Allemagne, en novembre 2024, d’évaluer cette possible introduction, la filière vin bio française s’est extrêmement mobilisée en faveur d’un non. Retour sur cet engagement, que les professionnels espèrent payant.
Le sous-groupe protection des plantes et fertilisants de l’Egtop finalise ces 4, 5 et 6 juin sa position sur l’introduction des phosphonates dans le cahier des charges bio européen. « Puis l’Egtop officialisera son avis début juillet », indique Jérôme Cinel, directeur d’Interbio Nouvelle-Aquitaine, et représentant français au conseil d’administration d’Ifoam Organics Europe, suivant de près le dossier. Depuis la fin d’année 2024, les membres de France Vin Bio, soutenus par la Fnab, se positionnent contre cette autorisation (2) et s’activent pour faire entendre leur voix. Demeter France envoie aussi un courrier à Christophe Hansen, le commissaire à l’agriculture de l’Union européen, pour faire part de son opposition à ce projet. De même l’Itab, prévoit de publier le 9 ou le 10 juin, une note de position, apportant des arguments scientifiques sur l’utilisation de ces produits et sur les conséquences de leur utilisation en bio.

Échanges à Ifoam Europe et entre filières européennes
Les 16 et 17 avril 2025, Ifoam Organics Europe réunit le groupe d’expert vin pour débattre du sujet. « Mais impossible de trouver un compromis, répond Pascal Boissonneau, vigneron bio girondin représentant la France à ces journées via Interbio Nouvelle-Aquitaine, accompagné de Nicolas Richarme, vigneron dans le Gard et vice-président de France Vin Bio. Les Allemands, n’autorisant que 3 kg/ha/an de cuivre, sont, entre autres, réfractaires au fait de s’aligner sur la règlementation européenne des 4 kg/ha/an. Ifoam Organics Europe n’a donc pas pris de nouvelle position sur le sujet et attend le rapport Egtop. » Pour Jérôme Cinel : « notre ambition est de maintenir le dialogue avec les Allemands, qui sont très mobilisés. Nous avons convenu de maintenir le contact. » C’est dans cet état d’esprit, qu’Interbio Nouvelle-Aquitaine (Jérôme Cinel - directeur), la Fnab (Sophia Majnoni d’Intignano déléguée générale et Pierre-Henri Cosyns, vigneron girondin) et France Vin Bio (Sébastien David, vigneron ligérien-Président) répondent à l’invitation de membres de la filière viticole bio allemande, pour échanger sur le sujet, à Luxembourg les 14 et 15 mai 2025. En présence notamment de la ministre de l’Agriculture luxembourgeoise, la délégation française débat avec ses homologues allemands, autrichiens et luxembourgeois (entre autres Ecovin, Naturland, Bio Austria, le syndicat des viticulteurs du Luxembourg, l’Institut technique du vin du Luxembourg). « Nous avons refait le point sur nos positions, et parfois nous ne sommes pas d’accord sur le fond. »
Des différences culturelles
L’origine naturelle ou non du produit est un exemple de différence de point de vue fondamental. « Nous avons d’ailleurs parfois l’impression qu’en lisant le même texte, nous n’en tirons pas les mêmes conclusions, affirme Pierre-Henri Cosyns, vigneron bio girondin et mandaté par la Fnab, participant à ces rencontres. L’Allemagne, via ses professionnels et scientifiques, affirme que oui, les phosphonates et l’acide phosphonique peuvent se retrouver dans des environnements naturels. » Mais la France s’aligne sur l’avis d’Egtop en 2014, affirmant que : des phosphonates ont été détectés dans des environnements naturels extraordinaires et rares. » Donc, pour les Français, si la substance active est peu disponible, la fabrication des produits phytosanitaires qui en découle est principalement synthétique. « Nous leur avons rappelé qu’en France, ce sont les pesticides d’origine de synthèse qui dérangent le plus les consommateurs, indique Pierre-Henri Cosyns. Or pour les Allemands, c’est vraiment le cuivre qui pose problème. Il y a un vrai refus culturel autour des métaux lourds dans les sols. » Les Français en profitent pour rappeler leur crainte : « C’est ouvrir la porte à l’autorisation, ensuite, d’autres produits de synthèse. »
Une vision bio vs une vision viticole
« J’ai le sentiment aussi que l’on se confronte à deux visions différentes. On trouve les vignerons bio, qui se sentent d’abord des producteurs bio, et des vignerons bio qui se voient avant tout viticulteurs, estime Pierre-Henri Cosyns. Les premiers sont très sensibles à l’historique de la bio, aux valeurs, aux grands principes. Alors que les seconds priorisent les opportunités techniques. »

Des contraintes à l’export
« Nous avons voulu faire prendre conscience aux Allemands, Autrichiens et Luxembourgeois du potentiel impact économique à l’export que pourrait engendrer une telle décision », indique Jérôme Cinel . En effet, comme le confirme Ecocert, les phosphonates ne sont pas autorisés en bio aux USA (NOP), Canada (COR) et Japon (JAS). « Même si les accords d’équivalence actuels entre l’UE et ces pays incluent bien les intrants agricoles – le raisin est reconnu comme équivalent en NOP, COR et JAS –, l’ajout des phosphonates pourraient remettre en question le principe de réciprocité, indique Julien Pezet, responsable du service Bio+ chez Ecocert. Certaines substances ou pratiques non autorisées dans l’un des deux règlements peuvent faire l’objet d’exclusions spécifiques ou de clauses restrictives dans l’accord. » D’après AND-International pour l’Agence Bio, en 2023, l’exportation de vins bio hors Union Européenne (Royaume-Uni compris) représente 354 millions d’euros, soit 23 % de la valeur du marché du vin bio en 2023 (1,56 milliard d’euros). L’Amérique du Nord, et le Japon étant les principaux marchés de grand export pour les vins bio. « Nous avons déjà des non-alignements, notamment le phosphate d’ammonium en vinification, non autorisé en NOP, rappelle Pierre-Henri Cosyns. Cela se gère à la certification et à l’équivalence par l’organisme certificateur. Cependant à force d’être en décalage, la possibilité de ne plus avoir ces équivalences n’est pas à sous-estimer. C’est un risque que nous ne voulons pas prendre vu les montants que cela représente pour la filière vin bio. »
Contaminations du vin mais aussi des autres productions bio
En outre, la demande de l’Allemagne repose sur l’autorisation des phosphonates en bio uniquement pour la vigne. « Donc quid des contaminations aux phosphonates des parcelles voisines de vigne, sur lesquelles on peut trouver d’autres productions bio ?, souligne Jérôme Cinel. Nous avons alerté sur ce point, qui nécessite une prise en compte par les Allemands, Autrichiens et Luxembourgeois. » En outre, les vignerons bio français sont soumis depuis plusieurs années, à des contrôles de leurs OC sur les résidus de pesticides dans leurs vins, en particulier l’acide phosphonique. « Nous avons une vraie expérience de terrain sur le sujet. Et nous savons que c’est assez compliqué à résoudre, témoigne Pierre-Henri Cosyns. Des lots de vins peuvent être bloqués pendant les enquêtes qui déterminent d’où vient la contamination et s’il y a fraude. Il était important de faire ce retour à nos confrères qui n’y sont pas forcément encore confrontés. » Tout en rappelant à nouveau l’impossibilité de distinguer l’origine des résidus d’acide phosphonique, entre le fosétyl d’aluminium ou les phosphonates . « Un vrai souci si l’on veut garder la confiance des consommateurs. »
Un compromis dur à trouver
« Nous avons travaillé sur les mises en perspectives d’un oui et d’un non par l’Egtop. Ce qui est compliqué, c’est qu’il est difficile dorénavant d’avoir des dérogations par Pays. » En effet, une proposition de l’Allemagne serait d’autoriser ces produits par dérogation aux pays membres qui le souhaitent. « Mais cela n’est plus possible dans le cadre du nouveau règlement bio. On peut demander une dérogation pour un produit, mais cette dernière s’applique à tous les pays membres. Donc si les phosphonates rentrent dans le cahier des charges bio, on ne pourra pas contraindre les vignerons français désireux de les utiliser ! »

Un courrier commun en faveur du non
D’après Jérôme Cinel, si l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg sont pour les phosphonates en bio, huit autres pays producteurs de vin bio en Europe (ayant plus de 900 ha de vignes bio) sont contre : la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Slovénie, la Croatie, la Bulgarie et la Roumanie. « Ce qui représente 92 % du vignoble bio européen. Nous ne connaissons pas l’avis de la Hongrie, la Grèce et la République tchèque. » Un courrier commun, reprenant l’ensemble de l’argumentaire, signé par ces pays refusant les phosphonates en bio et destiné au commissaire à l’agriculture, va d’ailleurs être envoyé sous peu. « Nous espérons sincèrement que la décision prise ensuite par les pays membres de l’Union européenne ne sera pas uniquement politique, dans ce contexte de simplification et de mise de côté des enjeux environnementaux », conclut Pierre-Henri Cosyns.
Frédérique Rose
(1) Groupe d’experts pour des avis techniques sur la production biologique (Expert group for technical advice on organic production)
(2) Retrouvez sur Vitisbio :
« L’Allemagne pousse pour les phosphonates », issu de l’article « Quel avenir pour le cuivre » - Vitisbio n°26 (janv-fev-mars 2025)
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