Millésime Bio : où en est-on avec le vrac bio ?

Le 22/05/2023 à 15:49

Pour l’édition de ses 30 ans, le Mondial du vin biologique et des autres boissons alcoolisées bio s’ouvre au marché du vrac. Alors que des difficultés économiques touchent ce segment, une conférence fait le point et met en avant de nombreuses pistes pour rebondir.

 

« Quelle offre proposer au marché du vrac bio ? », lance Chantal Sarrazin, journaliste à Rayon Boisson et animatrice de la conférence. On l’aura en effet beaucoup entendu en ce début d’année : le marché du vrac bio connaît des difficultés. Enfin, disons plutôt que le marché du vin connaît des difficultés et que dans ce contexte, le bio est touché aussi. « Avant, nous attendions que le client vienne, maintenant nous devons appeler nos clients », résume Frédéric Saccoman, directeur de la première cave coopérative bio de France, le Vignoble de la Voie d’Héraclès dans le Gard. « À cause des aléas climatiques de 2020 et 2021, nous n’avons pas eu les volumes attendus, rajoute Florian Ceschi, courtier en vin chez Ciatti Europe. En 2022, la récolte est bonne, amenant cette grosse vague de vin en 2023. Les surfaces bio donnent maintenant tout leur potentiel. Les acheteurs peuvent se permettre de sélectionner les vins, car l’off re est beaucoup plus large avec davantage de volume dans à peu près toutes les catégories. » Mais pour Thomas Verdeil, responsable achat des Domaines Auriol dans l’Aude, « le marché reste dynamique, et la fréquentation de Millésime Bio le prouve. Nous avons des contrats renouvelés, des appels d’offres auxquels répondre. »

 

Tenir bon
L’enjeu pour la filière, est de réussir à faire le dos rond quelques années et à s’organiser collectivement pour absorber ensemble les marchés. « Et si on doit écouler son vin au prix du conventionnel, alors on le vend comme un vin conventionnel, pas un vin bio ! insiste Frédéric Saccoman. Nous devons nous parler entre coopératives, pour échanger sur les prix de tel ou tel produit, et éviter que le marché se pilonne de lui-même. » Le directeur de la cave coopérative estime aussi que des adaptations sont nécessaires, comme le fait d’accepter des retiraisons de petits lots. « Nous devons aussi nous rendre compte des difficultés auxquelles sont confrontés les négociants. » Florian Ceschi reste optimiste : « nous avons une off re en variétés de cépages et d’appellations très étoffée, des profils produits pouvant être supérieurs à ce qu’il se fait à l’étranger. Nous avons toutes les cartes pour y arriver. Il faut être patient, même si nous savons que c’est dur pour les trésoreries. »

 

La prospection à l’export

L’export : le levier est cité d’emblée par la plupart des opérateurs. Tous rappellent que la Scandinavie a été un des premiers pays à tirer le marché du vin bio. « Ces pays nordiques ont des objectifs importants, notamment avoir 50 % de leur assortiment d’ici quelques années en bio dans les magasins », estime Florian Ceschi. Or pendant longtemps, faute de volume, les metteurs en marché n’ont pas pu répondre à cette demande. « Nous étions en dehors des radars, maintenant que nous le pouvons, nous devons nous rendre visibles.» « Nous pouvons maintenant assurer du sourcing régulier », rajoute Frédéric Saccoman. Mais il faut être présent. « Pour la première fois, nous nous sommes rendus au salon Bulk Wine, à Amsterdam. Nous avons été en contact avec des acheteurs que nous n’avons pas l’habitude de rencontrer, comme les Canadiens. Et nous voyons des gens optimistes, qui cherchent des vins. » L’Asie, avec la Corée du Sud, le Japon sont des pistes intéressantes. « Le marché chinois, totalement fermé pendant deux ans est en train de se réouvrir aussi, pointe Florian Ceschi. Sachant que c’est surtout le Chili qui reste là-bas notre grand concurrent. » Thomas Verdeil conseille aux producteurs visant l’export de demander conseil aux cabinets de courtage ou négociants les plus proches. « Et ce, pour recevoir les clés, les profils, des marchés export. »

À la cave coopérative Vignoble de la voie d'Héraclès (100 000 hL de vin bio), les professionnels misent sur de nouveaux partenaires à l'export (crédit F.Rose).

 

Se professionnaliser
« Mais miser sur l’export peut demander de changer nos habitudes, cite Thomas Verdeil. Il faut être irréprochable au niveau qualitatif, ne pas oublier de demander les certifications nécessaires à la commercialisation de produits bio à l’étranger, comme l’équivalence Nop pour les États-Unis, le Jas pour le Japon, le Bourgeon suisse. » Et les profils produits doivent parfois s’adapter. « Peu de pays ont les mêmes goûts que nous, à part la Norvège et les pays frontaliers. La Chine, les États- Unis, la Suède cherchent, notamment au niveau des tannins, des vins plus patinés, avec un peu plus de degrés, colorés. » Faire médailler les vins, accompagner la promotion du vin est un autre conseil du négociant. Et le vin doit aussi être préparé de façon à tenir dans le temps. Pour Frédéric Saccoman, d’une façon générale, sur le vrac, le service compte autant que le produit. Les échantillons notamment doivent être impeccables. « Nous voyions de tout dans les collectes d’échantillons, jusqu’aux bouteilles en plastique à moitié remplies au pied des cuves ! », relate Florian Ceschi. Tous estiment un besoin de professionnalisation. « Il faut se donner toutes les chances, et soigner son échantillon comme si on vendait une bouteille. »

 

Des pas de temps plus longs
« Avant, nous bloquions des volumes sur souches avant vendanges. Il suffisait de donner un degré cible et une surface de plantation pour avoir plus ou moins le contrat », relate Florian Ceschi. Maintenant le temps est plus long entre un premier échange et la signature d’un contrat ou d’un chargement de vin. Pour le courtier, rien que l’envoi d’un échantillon aux États-Unis nécessite entre une à deux semaines, sachant que le dégustateur ne va pas forcément le tester ni le présenter à son client dès réception. « Nous travaillons sur un appel d’offres de la Suède depuis août 2022, raconte Thomas Verdeil. Et nous aurons les résultats pas avant mi-février. Ce sont des process longs, avec des démarches lourdes ! Le marché bio ne connaît pas encore cela et doit apprendre ces nouvelles démarches. » Ciatti Europe travaille d’ailleurs sur la mise en place d’un logiciel pour centraliser, tracer et suivre les offres et les demandes.

 

Pouvoir stocker avant retiraisons
La question du stockage des vins est aussi soulevée : « il n’est pas évident de faire accepter aux producteurs de garder les vins après les vendanges, fait remarquer Florian Ceschi. Or souvent nous sommes sur des capacités de vente d’environ 12 mois, après une première présentation des vins en octobre. » Sachant que très peu de négociants ont de vrais lieux de stockage. « Et cela est d’autant plus vrai pour les rouges sur certains marchés export, renchérit Thomas Verdeil. Car des pays comme la Chine, l’Allemagne ou les États-Unis, préfèrent a minima le millésime antérieur, si ce n’est deux ans avant. » Les conditions de stockage sont aussi primordiales. Notamment comme lorsque l’on produit des vins sans sulfites ajoutés. « C’est notre cas, indique Frédéric Saccoman. Et ce sont des vins plus compliqués à stocker, demandant d’investir en équipements et nécessitant de l’énergie. » Les pistes sont là. « Mais c’est comme si la filière devait apprendre un nouveau métier », concluent les intervenants.

Frédérique Rose

 


Quels volumes pour vendre en vrac ?
Les volumes minimum récoltés par la société de Florian Ceschi sont de 50 hL, « mais la rentabilité n’est pas idéale ! Il vaut mieux envisager les multiples pour arriver idéalement le plus proche possible de 250 hL. » Et pour l’export, 240 hL est le format flexitank, sorte de gros bib assurant le voyage des vins en vrac. Pour Thomas Verdeil, il existe aussi de petits négociants familiaux retirant de plus petites quantités. « Notre travail est ensuite d’assembler ces petits lots. »

 


Faut-il craindre l’Italie et l’Espagne ?
Quid des deux pays partageant le podium de la production de vin bio avec la France ? Les Italiens étant connus pour leur agilité commerciale et les Espagnols pour leurs prix bas. « Mais en discutant avec des Italiens, on se rend compte parfois qu’ils ont aussi une bonne image de la France quant à la commercialisation des vins », rapporte Florian Ceschi. Selon lui, les volumes y montent plus tranquillement qu’en France car ce sont des pays connaissant moins les aléas climatiques. « Les blancs se vendent bien, mais le rouge, de moins en moins également. » Les différences de prix avec L’Espagne sont en effet très conséquentes. « Début 2022, sur du vin bio espagnol en blanc nous sommes à 4 € le degré/hL, soit 44 €/hL sur un vin à 11 degrés. Et autour de 50 sur un vin rouge. Alors qu’en France, en blanc, en vins de France le prix est autour de 110-120 €. » Un chardonnay bio espagnol est à 75 €/hL, contre 160-180 € en France. Mais pour Florian Ceschi, le marché est aussi en train de se repositionner. Les prix à venir sont en attente. « Mais, encore une fois, nous sommes dans un souci de consommation de vin global, rappelle Frédéric Saccoman. Un acheteur allemand me disait sur le salon que les vins bio espagnols, même moins chers, ne se vendaient pas mieux non plus. »