Millésime Bio souffle ses 30 bougies avec succès ! Record battu de fréquentation avec 10 300 professionnels issus de 50 pays et venus visiter les 1 500 exposants. Si dans les allées, les vignerons s’inquiètent pour la filière, beaucoup de structures veulent les rassurer, persuadées que le marché repartira à la hausse prochainement.
« La dynamique est tellement positive ! s’enthousiasme Jeanne Fabre, la jeune vigneronne présidente de Millésime Bio. Nous avons du vin à vendre et la qualité est au rendez-vous, c’est magnifique ! Nous avons retrouvé et même dépassé les niveaux de fréquentation d’avant-Covid. Cela confirme à la fois la demande des marchés en vin bio et le statut de Millésime Bio comme plus grand salon de vin bio au monde. » En effet, les visiteurs - cavistes, importateurs, CHR, grossistes, négociants, représentants de la grande distribution, etc. - ne désemplissent pas des allées durant les trois jours de salon. Les organisateurs se félicitent aussi du retour du grand export. Parmi les 20 % de visites internationales, 15 % sont issues d’Amérique du Nord et 6 % d’Asie. « C’est bon signe, notamment pour les producteurs français, car cela montre qu’il y a des réserves de croissance à l’export », note Nicolas Richarme, président de Sudvinbio.
30 ans : marquer le coup
Pour son édition anniversaire, les organisateurs de Millésime Bio en profitent pour offrir un recueil de 30 prises de paroles, où l’on peut lire les témoignages d’acteurs incontournables du salon et ayant participé à son évolution. Les jeunes vignerons ont aussi un espace dédié, afin de mettre en avant la relève pour les vignes de demain. Autre nouveauté, une ouverture au vrac, avec la mise en place d’un filtre dans la liste des exposants pour identifier rapidement les opérateurs proposant ce débouché. Au-delà de tout cela, le salon garde son ADN : les mêmes tables simples pour tous sur les stands et le mélange des appellations et des pays dans les allées.
Sortir du bois
Mais alors oui, voilà, la demande marque le pas… Situation inédite pour la filière bio. Pour la première fois, cette dernière doit stimuler son marché. Et certains s’en donnent d’ailleurs à cœur joie, prédisant déjà à grands titres anxiogènes que rien ne va plus pour les vins bio. Nombreux sont les vignerons témoignant de leurs inquiétudes et interrogations pour leur commercialisation. D’autant qu’ils ont dû souvent augmenter leurs tarifs à cause de la très forte hausse des charges (matières sèches, piquets, palissages, etc.). Le contexte économique et politique n’est effectivement pas des plus porteurs pour les consommateurs au pouvoir d’achat en baisse. « Oui, bien sûr nous avons souffert depuis l’été 2021 , témoigne Jacques Frelin, négociant 100 % bio leader au sein des magasins spécialisés. Depuis cette date notre chiffre d’affaires a baissé de 7 à 8 %. » Peter Riegel, importateur allemand historique de vins bio au sein de Riegel Bioweine, partage ce constat. « Depuis 38 ans, c’est la première fois en 2022 que mon chiffre d’affaires baisse. Les gens ont moins d’argent. Et je crois que cela est encore plus fort en Allemagne, lorsque la conjoncture va moins bien, les Allemands cherchent à tout prix le tarif le plus bas. »
Le vrac plus touché
Le phénomène est d’ailleurs d’autant plus marqué sur le marché du vrac. Les volumes arrivant sur le marché étant la conséquence de la grande vague de conversions de ces dernières années, durant laquelle beaucoup de caves coopératives ont passé le pas. Mais aussi parce que ces volumes arrivent d’un coup en 2022, où la récolte a été bonne, contrairement à 2021 et 2020 . « Sudvinbio évalue la récolte de vin bio 2022 en Occitanie à 1,5 million d’hectolitres, soit 50 % et 30 % de plus qu’en 2021 et 2020, annonce Chantal Sarrazin, journaliste à Rayon Boisson, et animatrice d’une conférence sur le marché du vrac. L’association estime que 25 % de ce volume est commercialisé sur le marché du vrac. » « C’est la première année que nous venons à Millésime Bio avec du vin à vendre, annonce Frédéric Saccoman, directeur général de cave coopérative Vignoble de la voie d’Héraclès, premier fournisseur de vin bio en France (100 000 hL et 10 000 hL de vins issus de raisins en conversion). Pendant longtemps, nous avions tout vendu un mois après les vendanges. » Laure Petit et Jean-Loup Gaetan, sont courtiers chez TWS à côté de Béziers, dont 10 % des volumes commercialisés sont bio. « Oui, le marché est compliqué, nous ne trouvons pas de négociants intéressés par les vins bio, et surtout aux tarifs proposés. Mais nous sommes quand même présents à Millésime Bio, pour voir s’il y a de la disponibilité sur certaines qualités, qu’on ne trouverait pas en conventionnel. »
En GMS : les chiffres
Autre signal, la consommation des vins bio est en baisse en 2022 au sein de la GMS (hors hard discount). « D’après le panel NielsenIQ, en 2022, on observe une baisse des ventes de vins bio de - 9 % en volume et - 7 % en valeur, décrit Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio. Pour les vins effervescents les baisses sont de – 8 % en volumes et – 5 % en valeur. Seuls les rosés tirent leur épingle du jeu, avec une augmentation des ventes de 1,7 % en volume et 7,6 % en valeur. » Sachant que ces chiffres sont à remettre dans le contexte global d’une diminution des ventes des vins conventionnels de -5,8 % en volume et – 1,9 % en valeur. « Et rappelons bien sûr que la GMS représente 20 % des ventes de vin bio en valeur (hors RHD), derrière la vente directe et les cavistes, indique Laure Verdeau. Étant donné son organisation, la grande distribution obtient très rapidement ces chiffres économiques. L’Agence Bio, elle, réalise un travail de bénédictin en enquêtant les artisans, les domaines vendant en direct, etc., et cela demande du temps. Donc rendez-vous le 1er juin 2023 pour davantage de chiffres et une vision complète de l’évolution du marché du vin bio. »
« Pas de panique ! »
La filière est donc consciente des difficultés qu’elle traverse, pourtant, elle reste confiante. « Nous sortons d’une grande vague de conversions, indique Nicolas Richarme . En général, nous observons toujours un ralentissement derrière. » « Il n’y a pas de problème sur le marché du vin bio. Il y a un problème sur le marché du vin, martèle Frédéric Saccoman. Le vin bio, cela reste l’avenir. Nous voyons bien d’ailleurs au caveau de la cave : le marché des vins chers ne faiblit pas. La difficulté vient du consommateur ayant moins de ressources, qui, pour le moment préfère mettre des euros de côté plutôt que dans une bouteille de vin. Mais cela va repartir. » Faire le dos rond, passer quelques années difficiles avant que le marché se relance… le constat est partagé par beaucoup. « Pas de panique ! estime Jacques Frelin. C’est un problème conjoncturel que nous allons absorber. La relance de la bio ne traînera pas. La viticulture bio c’est l’avenir de la filière vin. » Pour Pieter Riegel, à long terme, le bio va continuer de gagner des parts de marché . « C’est juste une mauvaise passe. Il y a beaucoup trop de problèmes écologiques. On ne peut pas faire semblant. Si on veut survivre, la bio est la solution. D’autant que de plus en plus de substances actives chimiques deviennent interdites. » Pour Stéphane Becquet, conseiller chez Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine, « nous traversons tous des difficultés, mais la bio est la locomotive de la filière vin. »
Honorer de nouveaux marchés
Opportunité pour la filière, volumes enfin disponibles pour honorer des clients et pour répondre aux appels d’offre scandinaves… La filière bio garde espoir. « Nous devons maintenant être plus agiles, et nous professionnaliser dans notre commercialisation, nous organiser pour attaquer le grand export, indique Frédéric Saccoman. Pour la première fois en 2022, nous avons participé au salon Bulk Wine à Amsterdam, spécialisé sur le vrac. Nous avons eu de nombreux contacts. Au niveau mondial, on a besoin de vin ! Mais ce sont de nouveaux partenariats à créer, nécessitant plus de temps. On peut avoir un premier contact à la Bulk, puis on approfondit à Millésime Bio et on signe un contrat à Wine Paris ! » Le directeur de la cave Héraclès espère surtout que l’ensemble de la profession jouera le jeu de ne pas baisser les prix et de protéger la production. « Je peux comprendre que nous trouvions la situation anxiogène, mais nous n’avons pas encore toutes les données du marché pour faire une vraie analyse, estime Thomas Verdeil, vigneron et responsable des achats de vins des domaines Auriol. Et la situation est aussi très confortable. Cette augmentation des volumes nous l’avons tous voulu. Maintenant on sait que l’on peut compter dessus. J’ai trouvé hier sur le salon des volumes pour de nouveaux marchés, certes pour une demande très spécifique, mais ce qui était impossible avant. » Gilles Roustan, vigneron coopérateur à la cave d’Adissan dans l’Aude, est certifié bio depuis 2021. Ses premières récoltes bio arrivent pile dans le creux de la vague. Mais il ne montre pas de signes de découragement, même s’il sait que, cette année, ses raisins produiront un vin vendu en conventionnel. « On arrive juste au mauvais moment, mais on sent que cela va repartir, je n’ai pas d’inquiétudes. Les marchés à l’export s’ouvrent. Et puis cela nous donne un nouvel élan, nous participons à des salons, rencontrons de nouveaux interlocuteurs, c’est stimulant ! »
Communiquer, communiquer, communiquer !
Credo de Laure Verdeau, un des grands leviers pour relancer la filière, est la communication positive autour du bio. « Nous mangeons sept fois plus de produits laitiers que nos voisins européens depuis les grandes campagnes de promotion réalisées par l’interprofession. L’Ademe nous a éduqués à trier nos déchets… Nous pouvons faire la même chose avec la bio !, souhaite la directrice de l’Agence Bio. Nous devons réfléchir collectivement à comment on absorbe ces nouveaux volumes. La filière vin bio a déjà l’atout d’avoir un marché export, contrairement aux autres productions bio. Mais nous ne pouvons pas freiner la transition écologique, pour laquelle la bio est le fer de lance. » Laure Verdeau voit poindre des déficits de compréhension, et de la défiance vis-à-vis du label. La priorité est de montrer les bénéfices. « Nous devons rappeler qu’une consommation individuelle est bénéfique pour le collectif : quand je mange bio, je diminue le coût des factures d’eau et j’augmente la biodiversité ! »
Vraie plus-value pour la qualité de l’eau
Sur ce point, Kevin Boisset, de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, est très clair : « notre enjeu, concernant la protection de la ressource en eau est la gestion des pesticides de synthèse. 55 % des rivières ne sont pas en bon état. 50 % des substances que l’on y retrouve sont des pesticides de synthèse. Dont le glyphosate et ses métabolites, dans 8 analyses sur 10. » 74 des 76 captages prioritaires des quatre départements littoraux d’Occitanie sont classés pour cause de pesticides de synthèse (herbicide en grande majorité). Kevin Boisset assure également que le cuivre agricole n’est absolument pas une priorité pour l’Agence de l’eau. « On en a comptabilisé dans quelques captages prioritaires de façon très anecdotique, et ce, 50 à 100 fois en dessous des normes acceptables. Donc l’Agence de l’eau n’a aucun regret à investir dans la bio, bien au contraire ! » Alors courage à tous les vignerons et metteurs en marché. De nombreux signes positifs sont envoyés !
Frédérique Rose
(© Rose F.)