Parcours en muscadet – épisode 6 : La vinification démarre

Le 12/10/2020 à 17:35

Journal de bord d’un vigneron

Vitisbio suit un vigneron pendant une année. Chaque quinzaine, nous découvrons son actualité, ses enjeux techniques, ses difficultés et ses réussites !

Après les vendanges, Robin Euvrard, installé dans le Muscadet, a commencé la vinification. Après quelques inquiétudes sur le lancement de la fermentation, la magie du vivant a fait son œuvre. Le jeune vigneron produira principalement du vin blanc, mais une petite cuve de gamay rouge est aussi à vinifier.

 

Comment avez-vous démarré la vinification ?

 

Une fois que le jus est pressé, l’aventure se poursuit dans le monde « liquide ». Je fais le choix d’un débourbage léger pour n’éliminer que les poussières et particules lourdes sans intérêt technique ou gustatif pour la suite, en laissant reposer le moût quelques heures avant le transfert dans sa cuve de fermentation. Ensuite, un premier dilemme se pose pour le sulfitage, ou non, du moût. Le chai n’a pas accueilli de vinifications depuis plus de cinq ans, les vignes sortent de trente ans de conduite chimique… Peut-on compter sur la présence d’une population levurienne dans la cave ? D’un autre côté, les raisins sont beaux et sains, et l’équilibre est présent entre sucre et acidité. Je prends donc le parti de ne pas ouvrir le bidon que j’ai sous la main. Par contre, je suis certain de ne pas ajouter de levures commerciales, leur préférant les levures indigènes. La décision est facile à prendre, je n’ai jamais travaillé autrement. Pour autant, je ne laisse pas la place au hasard et lance un levain « starter » pour accélérer le démarrage de la fermentation. C’est une course de vitesse entre les levures et les autres micro-organismes, alors j’espère que l’ajout du levain les aidera à prendre l’avantage.

Les jus s'écoulent. (© Euvrard R.)

 

L'ajout de levain a-t-il fonctionné ?

 

Pour cela, je tire du jus de la cuve, le dilue et le monte en température. Dès le lendemain, le levain pétille, il a démarré, tandis que la cuve, elle, reste calme. Je surveille l’évolution de la densité, attendant que le levain soit en pleine activité pour l’intégrer. Le matin suivant, sa fermentation semble se poursuivre mais il s’en dégage une légère odeur désagréable. Je ne prends pas de risque et l’écarte. La cuve, elle, reste muette. Je la contrôle plusieurs fois par jour. Pourquoi ne se lance-t-elle pas ? La température ? L’air est doux pendant la journée mais les nuits sont fraîches, nous gratifiant de matins à 11-12 °C. Les moûts sont à 17-18 °C, c’est trop peu pour booster la fermentation. J’ouvre le chai autant que possible la journée pour le réchauffer mais l’isolation n’est pas terminée, et il se refroidit la nuit. Le 3 e  jour, je tente de relancer un levain starter. Le matin du 4 e  jour, je sens une légère acescence au-dessus de mes deux cuves… Aïe aïe aïe. Que faire ? Aurais-je dû sulfiter ? Mieux contrôler mon levain ? Heureusement, le nouveau levain est en meilleure forme. Par sécurité, je file chercher un bidon de moût en pleine fermentation chez un voisin avec qui je partage une approche similaire (levures indigènes et doses de soufre minimes). Je décide aussi d’installer un chauffage d’appoint dans mes cuves, par le biais de plongeurs chauffants. Enfin, j’emprunte une bouteille de CO 2   à un autre voisin pour protéger le moût au contact de l’air. J’intègre le tout dans les deux cuves paresseuses et revient voir le lendemain. La première impression est olfactive : l’odeur désagréable a disparu et ça sent la fermentation. En y regardant de plus près, ça pétille en surface. Je valide au mustimètre : 5 points de moins et des jus à 21 °C. C’est parti ! La magie du vivant !

Robin Euvrard, en train de transférer les jus. (© Euvrard R.)

 

Ensuite, les levures ont pris ?

 

Une fois que les premières fermentations sont lancées, tout est plus facile. « L’ambiance » de cave est devenue favorable à l’activité des levures. Celles-ci se multiplient à grande vitesse et prennent toute la place dans la cuve. Je réalise quelques remontages à l’air pour leur apporter l’oxygène nécessaire à leur multiplication. Grâce à la Cab Pays de la Loire, je peux observer leur présence et leur dynamique sous le microscope. J’ensemence les nouveaux moûts avec les cuves en pleine fermentation et cette fois, ça démarre en moins d’une journée. De fait, mon attitude est plus sereine. Tous les raisins sont rentrés et tout fermente. Quelques vendangeurs passent prendre une bouteille de « bourru », le vin nouveau. Je suis en terre de Muscadet, en pays de vin blanc. J’ai quand même le plaisir d’avoir une petite cuve de gamay rouge à vinifier. Ce sont les derniers raisins rentrés, j’ai tout le temps de m’en occuper. J’alterne des couches de raisins entiers et de raisins égrappés et foulés aux pieds. Et là encore, ça démarre vite. Pour le reste, je déguste régulièrement et je contrôle simplement les densités qui diminuent de jour en jour, perdant parfois 10 ou 15 points. Je reporte les densités sur une courbe de fermentation pour guetter les signes de ralentissement, redoutant le moindre arrêt de la dynamique.

Robin Euvrard

La cuve, en train d'être scellée. (© Euvrard R.)