Parcours en muscadet – épisode 9 : Le passé de la parcelle

Le 15/12/2020 à 17:39

JOURNAL DE BORD D'UN VIGNERON

Vitisbio suit un vigneron pendant une année. Chaque quinzaine, nous découvrons son actualité, ses enjeux techniques, ses difficultés et ses réussites !

Robin Euvrard profite de l'automne pour s'équiper à la cave. Il découvre, grâce à de vieilles cartographies aériennes, le découpage de ses vignes dans les années 1950, éclairant la circulation de l'eau dans sa parcelle.

 

Mi-novembre, toujours de l'administratif à faire ?

L’automne, c’est un peu une sorte de temps ralenti, mais c’est une période de petites activités qui préparent les mois à venir. Je continue de surveiller les annonces de matériel à vendre pour compléter mes installations. J’en vois passer une pour un équipement de mise en bouteille manuelle. Une machine hyper simple : un moteur, un réservoir et douze becs rotatifs. Je connais bien l’engin, l’ayant utilisé pendant deux ans quand je travaillais chez Damien à Gaillac. Il servait à embouteiller 50 hl de pet’nat, et ça marchait à merveille. Le vendeur est à… 20 km d’ici ! Je n’hésite pas longtemps. Je poursuis également le parcours administratif avec la finalisation des démarches MSA et de l’inscription aux registres douaniers. Entre cases à cocher et signatures à ajouter, je pars à la « pêche » aux informations pour retrouver les surfaces des parcelles cadastrées. En utilisant les cartographies aériennes, je tombe sur des photos prises dans les années 1950.

Le vigneron s'est équipé d'une embouteilleuse manuelle.

 

Comment étaient les parcelles dans les années 1950 ?

Sur les photos, on devine le découpage parcellaire de l’époque et, ce qui m’intéresse avant tout, les fossés ou autres aménagements destinés à évacuer les excès d’eau. Les épisodes pluvieux de l’hiver passé et du printemps me l’avaient largement suggéré : ici, comme dans de nombreux endroits du vignoble, l’eau circule partout. Pourtant, sa gestion est indissociable des bonnes pratiques agronomiques. En excès, l’eau stagne et crée des zones hydromorphes, asphyxiant les racines pendant une période qui peut être longue. Dans le cas de ma parcelle, c’est surtout un secteur en partie basse qui m’avait posé question. Il est plus long à ressuyer après les pluies, rendant les passages de tracteur parfois périlleux. À tel point que j’avais fait poser un drain au mois d’avril dernier… quasiment à l’endroit indiqué sur la photographie ancienne ! J’ai le droit de sourire, il n’y a jamais de petite victoire.

 

La photo des années 1950 (en haut) permet de mieux comprendre la circulation de l'eau dans la parcelle aujourd’hui (en bas).

 

Et à la vigne, c'est l'heure de sortir le sécateur ?

Les conditions de ce début d’automne sont idéales. Les températures restent douces, et les épisodes pluvieux viennent ponctuer de longues journées ensoleillées, tout ce qu’il faut pour que la vie se maintienne et que les couverts poussent avant l’hiver. Mes voisins eux, semblent être déjà rentrés dans leur saison d’hiver. On avait vu se repeupler les vignes dès la mi-octobre pour les opérations dites de « déraquage », c’est-à-dire l’enlèvement des baguettes, les bois longs qui ont porté les fruits de l’année. Cette première étape permet de faciliter le travail du tailleur, ne lui laissant que les choix de sarments à conserver sur le cep. Et c’est parti avec la sortie des sécateurs dès les premiers jours de novembre. Au 10 novembre, la parcelle qui jouxte la mienne est déjà taillée, nettoyée et attachée. Ça ne traîne pas, ces domaines ont 30 ou 40 ha à remettre en ordre de marche pendant l’hiver, ça ne laisse que peu de marges de manœuvre. De mon côté, j’attendrai tranquillement le mois de février pour commencer, privilège qu’une petite surface me permet. Les feuilles viennent à peine de tomber et les après-midi restent chaudes (20 °C parfois), je préfère laisser à la vigne le temps de finir son cycle. Car l’expérience et les échanges m’ont montré que les pratiques de taille étaient essentielles pour l’équilibre de la vigne, et que les dégâts provoqués par des coupes inadéquates pouvaient s’avérer désastreux pour sa « santé ». J’ai eu la chance de croiser la route de Marceau Bourdarias au début de mon aventure viticole, et c’est lui qui m’a guidé dans cette compréhension plus fine. Marceau dispense des formations dans toute la France, ouvrant des ceps morts pour y lire à l’intérieur les dommages des années accumulées, et il propose des techniques permettant d’adapter et d’améliorer nos pratiques. On y comprend que les plaies rases, si elles facilitent grandement le travail du vigneron au printemps, entraînent en revanche des zones entières de bois mort à l’intérieur du cep, contrariant les trajets de sève et facilitant l’entrée des champignons pathogènes. On constate également avec effarement qu’en empêchant la vigne de s’étendre un minimum tous les ans, on l’ampute d’une part importante de son énergie vitale, de ses réserves.

Si les voisins ont sorti le sécateur, Robin Euvrard, avec une petite surface, attendra février.

 

Propos transmis par Robin Euvrard

(crédit photo : Robin Euvrard)