Parcours en Beaujolais épisode 3 :
S'adapter aux sols pour gérer l'herbe

Le 07/05/2021 à 15:32

La saison se lance et les outils de travail du sol sont sortis chez Olivier Renard. Derrière sa jument, le vigneron adapte les pratiques en fonction des vignes. À la cave, c’est aussi l’heure des choix avec les premières mises en bouteilles.

 

Travail du sol sur une vieille vigne en Morgon.

 

UNE GESTION DE L'ENHERBEMENT À LA CARTE... DES SOLS

Je reprends cette année une parcelle voisine, avant qu’elle ne soit perdue. Une année non taillée, non traitée, une forêt d’érigerons ( Conyza canadensis ) et quelques touffes qui osent à peine sortir... Cela me renvoie à mes premières années d’installation en Beaujolais Villages, en 2017 et 2018, quand les sols étaient encore gorgés d’herbicides et d’anti-germinatifs. Heureusement, après 3 à 4 années de reprise en biodynamie, la vie est revenue, la biodiversité spontanée est bien installée. Pour mes Morgons, mes trois parcelles ont été reprises après 5 à 10 années de culture bio. Je n’ai donc pas eu de phase de conversion (deux en Climat « Les Charmes », et une nouvelle centenaire en Climat « Les Micouds »).

Cette année, je gère donc des sols dont le couvert reflète enfin la nature profonde, et il est évident que chaque parcelle nécessite une gestion différenciée.

> À relire : Article Vitisbio « Gestion de l’herbe, anticiper et trouver le compromis »

TROUVER SA VOIE

Gestion différenciée mais dans quel but ? Entre le zéro sol nu de La Belle Vigne de Konrad Schreiber et le travail régulier du sol prôné par Dominique Massenot, comment trouver sa voie ? Entre les prescripteurs de couverts végétaux optimaux divers et les adeptes de l’enherbement spontané, qui écouter ? Après quelques années d’expérience, j’opte pour une « maîtrise modérée » de l’enherbement : l’accueillir, sans se laisser envahir. C’est comme cela qu’il faut gérer ses meilleurs amis...

Sur mes parcelles sablo-granitiques, butées à l’automne, j’opère un débutage et un griffage dans un premier temps, puis une finition au décavaillonneur dans quelques semaines (avant fleur). La friche attendra la saison prochaine, quand la végétation se sera enfin invitée.

Sur ma Morgon sablo-granitique enherbée et laissée au printemps aux moutons, toujours le minimum d’actions : je passe au rotofil, et c’est tout. La vie des sols est tellement intense, qu’elle me semble pouvoir nourrir la vigne en autosuffisance. Pas question de perturber cet équilibre.

En revanche, sur ma Morgon argileuse le décavaillonnage et le passage de griffes sont impératifs, pour éviter une vigne poussive, anémiée. Et enfin, la petite dernière : mes amies les plantes s’étant incrustées au-delà du raisonnable, je mets tout le monde dehors, à coups de pioche, pour pouvoir retrouver mes rangs et mes ceps, et pour permettre à cette vigne centenaire de reprendre vie. L’enherbement pourra ensuite revenir, sans m’envahir...

> À relire : Dossier Biofil 126 « Enherbement au vignoble, jusqu’où l’envisager ? »

Sur les parcelles en Beaujolais village, le travail du printemps commence par un débutage et un griffage.

OUTILS D'HIER ET DE DEMAIN...

« Les Mornieux deviennent introuvables » se plaignaient les vignerons la semaine dernière. Nous étions une quinzaine en formation « traction au cheval », à Juliénas, encadrés par Jean-Louis Cannelle du   CERRTA (Centre européen de ressources et de recherches en traction animale), à nous extasier sur ces porte-outils sortis des granges et toujours aussi robustes et efficaces, adaptés à nos sols du Beaujolais. Je ressors donc mes griffes (la fameuse Mornieux), mon décavaillonneur, mon canadien et mon débuteur pour la saison. J’ai gardé ma jument Rosie en forme cet hiver grâce aux balades, au tirage des bois dans la vigne et au ramassage du crottin, en plus des travaux de butage : elle est d’attaque ! Je vais donc parcourir mes vignes au rythme de l’animal les jours à venir, en autonomie depuis peu (je dépendais la saison dernière des   wwoofeurs   pour maîtriser Rosie). Alors pourquoi pas au tracteur me direz-vous ? Je vois à cela diverses raisons : agronomiquement, le tassement est nul, les sols respirent, se décloisonnent, communiquent... Économiquement, mon cheval m’a coûté 1 000 euros, l’ensemble de mes outils 500 euros, mes frais se limitent au véto, au maréchal ferrand, au foin, au grain. Tout est local. Socialement et culturellement, c’est un trésor du patrimoine vivant partagé avec les vignerons comme avec les habitants du Beaujolais. Et enfin, philosophiquement ou - je lâche le mot - politiquement, c’est une liberté rare, une priorité donnée à la beauté, à la nature, à la qualité du temps de travail, une précieuse simplicité volontaire...

Outils d'Olivier Renard pour le travail du sol en traction animale.

ÇA BOUGE À LA CAVE

Le temps des arbitrages est venu : mettre en bouteille les 2020 au printemps ou attendre l’automne, et quelles cuvées ? Ma cuvée printanière de SabotAge est soutirée et sera mise en bouteille fin mai. Mon Morgon me semble prêt et ayant écoulé le millésime 2019, j’envisage une mise le même jour. C’est la gestion des fûts qui me tracasse, car je préfère les laisser pleins et ne pas les sulfiter... Je ferai donc un compromis et pour éviter un autre fût vide, ma troisième cuvée en fût attendra l’automne.

Sulfiter avant mise ?  Pour SabotAge, un peu fragile côté tenue à l’air, je pense que ça s’impose. En revanche, le Morgon 2020, comme le 2019, tient très bien, je vais peut-être le garder nu... N’en parlez pas trop, mais j’utilise des sulfites naturels, générés à partir de soufre de mine. Une évidence tant les sulfites de la pétrochimie (les seuls autorisés) dénaturent les vins et agressent le foie.

La mise se fera sans filtration (je trouve qu’elle dépouille trop les vins), je ferai peut- être deux soutirages du Morgon pour limiter les lies. Et enfin, je tente cette année les bouchons Diam, réputés plus stables et neutres que le liège, que j’aime pourtant beaucoup. Mais une ou deux bouteilles bouchonnées m’ont déjà inquiété. Bref, pas de révolution cette année, mais quelques petites évolutions à suivre...

LE PARTAGE D'OLIVIER :

Grillades, salades, tartes et mousse au chocolat, le tout arrosé par nos vins sortis du sac, voilà le menu de lancement de la Cuma à laquelle j’adhère dans les prochains jours. Objectif : achat d’outils de travail du sol principalement, mais aussi dynamiseur Ecodyn (assez cher il faut le dire, mais malheureusement avec peu d’alternatives)... Nous serons une grosse dizaine de vignerons bio, avec beaucoup de néo-vignerons parmi nous (peut être ceux qui ont le plus besoin de s’équiper), mais pas que...