Parcours en Champagne #2
Quelle année de contrastes climatiques !

Le 09/11/2023 à 16:30

Pascal Doquet revient sur la saison 2023 : de fortes pluies, induisant une pousse exceptionnelle de l’herbe, mais absentes lors des phases critiques de la protection phytosanitaire ! Avec néanmoins le besoin de vigilance sur l’oïdium. L’année est aussi caractérisée par d’impressionnants poids de grappes.

 

Une pousse de l’herbe exceptionnelle au printemps.

Une pluviométrie importante

La saison a commencé par une sécheresse exceptionnelle durant le mois de février. Pas ou très peu de pluie (moins de 5 mm) pour un mois habituellement humide en Champagne. La faible recharge des nappes pouvait laisser craindre pour la vigueur à venir. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit, la pluie est revenue à partir du 8 mars pour deux mois à raison d’un jour sur deux en moyenne. Les premiers travaux de sols en ont été très perturbés et les vignes débordées par la pousse de l’herbe ont été innombrables cette année en Champagne. Le confort de travail pour la fin de la taille, mais surtout pour l’attachage et l’ébourgeonnage en a été très affecté. Malgré l’expérience de 22 années de culture sans herbicides, nous avons, nous aussi, été débordés par cette pousse exceptionnelle, des graminées principalement, et le brome en particulier, au point d’aller investir dans deux débroussailleuses à fil pour rétablir des conditions de travail correctes pour finir les travaux d’attachage et d’ébourgeonnage.

Paillages naturels

La crainte de revivre une année aussi critique que 2021, encore présente dans toutes les mémoires champenoises, s’est finalement estompée puisqu’à partir du 11 mai, le beau temps s’est durablement installé pour un mois complet sans pluie. Grâce à cette météo, nous avons retrouvé de bonnes conditions pour finir de maîtriser l’herbe, qui s’est avantageusement transformée en couvert de paille. Très bon engrais vert, riche de la biodiversité naturelle la plus adaptée à nos terroirs ! Travailler l’herbe, plutôt que les sols, c’est ce que j’ai appris à faire pendant toutes ces années d’apprentissage, par volonté de conserver le plus possible un couvert végétal de plantes spontanées, m’offrant ainsi une lecture de l’évolution de la vie de mes sols.

Le retour du soleil aide l’herbe à se transformer en couvert de paille.

Peu de mildiou

Pendant que les échos des dégâts des orages dans le Sud nous parvenaient par les articles de presse et les quelques échanges avec des vignerons concernés, ce mois sans pluie a vraiment été une magnifique chance pour nous, pendant la période de la plus grande fragilité de nos vignes face au mildiou. Les pluies revenues en trombes, au sens propre, surtout à partir du 18-19 juin, n’ont pas permis au mildiou d’entrer dans une phase épidémique critique. Son développement a été très faible dans toutes les vignes qui avaient été bien protégées par un renouvellement des traitements de protection en suivant bien le développement de la haie foliaire avant la fleur. Le mois de juillet a reçu également des pluies régulières, qui se sont poursuivies jusqu’à la mi-août. La faiblesse des symptômes de mildiou nous a permis de lever la protection cuprique assez tôt, avec environ 3 kg/ha de cuivre utilisé.

L’absence de pluie de mi-mai à mi-juin évite une grosse pression mildiou.

Mais attention à l’oïdium

Mais il n’en a pas été de même pour l’oïdium ! Le chardonnay que nous cultivons sur 95 % de nos vignobles en subit maintenant régulièrement des attaques, surtout dans des secteurs où il s’est durablement installé et contamine le voisinage. Nous avons dû réaliser trois traitements spécifiques en fin de campagne pour réussir à le maîtriser correctement, écartant seulement quelques grappes durant les vendanges dans les vignes les plus touchées. Les pulvérisations de soufre complété d’huile essentielle d’orange ou de carbonate de potassium nous ont aidés à réussir en bio quand de nombreux vignerons conventionnels échouaient à nos côtés dans les secteurs les plus critiques, notamment à cause de matériel de pulvérisation par le dessus, beaucoup moins performants dans la zone des grappes. Pas de doute pour moi que cette efficacité de la protection bio est directement liée à la qualité de la pulvérisation avec des pendillards à jets portés en face par face, mais aussi à la précocité et la fréquence du renouvellement de la protection. Pas plus de dix jours entre deux soufres. C’est cette nécessité qui a donné cette année encore le rythme des traitements, même en l’absence de pluies lessivantes pour le cuivre. La pluviométrie de la période de végétation a finalement été supérieure à celle de 2021 (400 à 550 mm pour la période de mars à août, contre 300 à 400 mm en 2021), mais le temps sec pendant l’encadrement de la fleur a vraiment fait l’essentiel de la différence, même si beaucoup de vignes avaient été fragilisées par le gel en 2021 (pas de gel en 2023).

La qualité de pulvérisation, essentielle dans la lutte contre le mildiou.

Bilan

Finalement, qu’est-ce qui marquera le millésime en Champagne en 2023 ? Eh bien, c’est surtout la phase de maturation qui restera longtemps dans les mémoires. Avec cette humidité installée en profondeur dans les sols, le développement des baies à partir de la véraison a été exceptionnel et a pulvérisé tous les records. 1,5 g par baie en moyenne, des poids de grappes qui ont surpris tout le monde et largement décalé à la hausse les prévisions de récolte. Si la prise de sucre a suivi aussi des niveaux records en valeur absolue, la charge de grappes a modéré l’évolution des degrés potentiels. Et c’est le botrytis qui s’est abondamment développé, surtout dans le pinot noir et le meunier, et qui a nécessité pour beaucoup de vignerons d’avancer la date de cueillette pour préserver l’état sanitaire. Pour beaucoup, certes, mais surtout pour les vignerons conventionnels. Les vignerons bio et ceux qui entretiennent un enherbement dans leurs parcelles ont été bien moins impactés par la pourriture, à l’instar de ce qui s’était déjà révélé lors du dernier été pluvieux en Champagne en 2017. La flore spontanée ou les bandes enherbées jouent un rôle tampon très efficace lors d’un été pluvieux : elles absorbent l’azote rendu disponible, et l’empêchent de migrer vers les grappes. Ces dernières sont alors moins fragiles et moins appétantes pour le botrytis.

À méditer, pour celles et ceux qui se souviennent que l’interprofession champenoise s’était engagée à s’affranchir des herbicides à moyen terme…

Des poids de baies incroyables en 2023 !

 

Pascal Doquet
© P.Doquet

 


 

 

Le partage de Pascal : échelle à insecte dans le pluviomètre

J’étais toujours triste de voir des papillons, bourdons, abeilles, noyés dans mes pluviomètres en faisant la tournée après les pluies. Même si aujourd’hui les stations météo en réseau ont avantageusement remplacé pour moi les pluviomètres, avec le relevé « au pied du lit », je continue de mettre à l’intérieur, dans ceux que j’utilise encore, une brindille, un bout de sarment sec, et qui sert d’échelle de survie pour les insectes assoiffés (et où un escargot tente parfois un numéro d’équilibriste 😉 ).