Parcours en Gironde épisode 3 :
Des compromis pour un sol vivant !

Le 04/11/2022 à 15:12

L’automne s’écoule au Domaine Grand Launay, et avec, les nombreuses tâches à réaliser au chai et à la vigne. En préoccupation majeure : l’attention à porter au sol. Travail ? enherbement ? Les choix se font.

ADAPTER LA COUVERTURE DU SOL

Un mois d’octobre toujours sans pluie. Les vinifications se terminent doucement. Les cuves ont été décuvées et les élevages vont commencer. Il y a toujours de quoi faire ! À la vigne, on compte les manquants et on complante les parcelles jeunes et moins jeunes. Un petit coup avec le godet d’une micro pelle ameublit le sol et retire les dernières racines des pieds morts. Avant le repos végétatif, l’automne est le moment idéal pour s’attarder sur ce qui a le plus de valeur sur nos terroirs et pour nos vignes : le sol ! C’est une époque privilégiée pour se consacrer au travail du sol (avec parcimonie) et au semis. Depuis plusieurs années nous pratiquons des semis de fèverole pour un apport en azote organique au printemps. Nous alternons les rangs de fèverole, d’enherbement naturel et des semis mixtes avoine/pois fourrager. Cette année, la sobriété « volontaire » nous pousse à revenir à un enherbement naturel permanent. En effet, plusieurs facteurs sont en jeu : entre autres, la difficulté cette année à trouver des semences, le manque de pluviométrie.

 

Après avoir pratiqué le semis de fèverole pendant plusieurs années, Pierre-Henry Cosyns souhaite revenir cette saison à l'enherbement naturel.

UN TRAVAIL EN DOUCEUR

On profite aussi de l’automne pour décompacter le fond de roulement. Et on chausse pour garder le cavaillon travaillé sur une largeur la plus étroite possible. Cela assure une certaine malléabilité de la terre qui facilitera un décavaillonnage à la sortie d’hiver. Cette année, comme la chaleur perdure (27°C l’après-midi du 28 octobre), nous tardons à débuter les travaux du cavaillon. Travailler trop tôt provoque des repousses rapides de l’herbe du fait des températures et des humidités matinales. « Sol nu, sol foutu » le grand paradigme actuel… Pour le carbone, il faudrait couvrir les inter-rangs pour la séquestration. On parle de conservation et de régénération des sols. Cependant, si les techniques sans travail profond amènent une augmentation importante des teneurs en carbone dans les dix premiers centimètres, elles conduisent parfois à déstocker du carbone en dessous. En vigne, les passages sont nombreux. Nous tassons en profondeur, ce qui limite la minéralisation et le stockage du carbone. Les pratiques de semis direct et de travail du sol superficiel apportent une plus-value dans cette problématique : le sol se ferme moins.

Vignes en sortie d'hiver. Le couvert est un enherbement permanent, issu du semis du mélange Vitivert. Satisfait de sa tenue après plusieurs années, Pierre-Henri Cosyns envisage peut-être un nouveau semis au printemps.

D’ABORD OBSERVER

Pour l’azote, ça se complique. L’enherbement peut aussi concurrencer la vigne au niveau des prélèvements d’azote. Le meilleur outil d’analyse est l’observation. Entre août et octobre, on observe donc : la sensibilité à la pourriture grise, la persistance du feuillage, les azotes des moûts et leur fermentescibilité. Attention, l’année est particulière puisque les conditions du millésime extrême ont entrainé des blocages d’assimilation des nutriments. Ainsi même des vignes vigoureuses ont eu des carences dans leurs moûts.
Bref, ce n’est pas compliqué… c’est complexe le sol !

CHOISIR LA BIODYNAMIE

En tant que vignerons bio, nous cherchons tous à concilier respect environnemental, rendement équilibré et qualité de nos cuvées. Il en va de l’équilibre économique de nos exploitations. Et puis, l’empreinte carbone d’une cuvée, son ACV (analyse du cycle de vie) est directement liée au rendement parcellaire. On en est donc venu à la biodynamie. Certains détracteurs n’y voient qu’une philosophie capillotractée centenaire et en font une analyse anachronique, erronée et hors contexte… Pour ma part, j’y vois un terrain de réflexion sur le sol, une approche douce du terroir, la compréhension du compostage, des ateliers collectifs et participatifs, et une étape supplémentaire vers la sobriété globale. C’est enfin une bonne manière, à ce niveau, d’acquérir une certaine autonomie dans l’approche terroir et se forcer à l’observation. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. » Plutôt que de suivre un seul paradigme, il faut cultiver son expérience. Comprendre nos sols prend du temps, les dompter est impossible. Aucune action n’est neutre, ni environnementalement, ni économiquement. On tâtonne, on échoue et puis parfois ça fonctionne… ouf.

Réalisation de bouse de corne avec le collectif de biodynamistes.

 

 

Pierre-Henri Cosyns
© Pierre-Henri Cosyns

LE PARTAGE DE PIERRE-HENRI :
Penser à déclarer ses plants !

Les complants n’étant pas certifiés bio, il est désormais possible d’enregistrer les utilisations sur le site   semences-biologiques.org   de l’Inao. Nous sommes effectivement passé du régime de dérogation générale à autorisation générale. Enregistrer les quantités de plants non bio revient à renseigner la filière sur ses besoins en plants bio. La production de ces derniers se développe doucement chez les petites structures de pépinières spécialisées. Cependant il semble difficile de pouvoir fournir l’intégralité des demandes. Les difficultés sont techniques, et une règlementation trop stricte poserait des problèmes de distorsion de concurrence entre États membres.

À relire : « Article Vitisbio : Plants de vigne bio, expérimenter pour lever les blocages »